Tous les sujets de philosophie au baccalauréat 2023

Avertissement : Plutôt que de vous proposer des « corrigés » du bac tous plus ou moins satisfaisants, et suivant l’injonction fondatrice des Lumières énoncée par Kant « Aie le courage de te servir de ton propre entendement. » ; Philosophia, en partenariat avec les Editions M-Editer, vous proposent différents éclairages possibles des sujets du baccalauréat de philosophie de cette année, pour que vous vous fassiez votre propre opinion éclairée.

– Série générale

Illustration ©Chaunu

Sujet n° 1 : Le bonheur est-il affaire de raison ?

Éclairage n° 1 : Imbécile et heureux, ou lucide et malheureux ?, Jacques Ricot

Présentation : Qu’est-ce que la philosophie doit rechercher prioritairement, le bonheur ou la vérité ? Le bonheur au risque de l’aveuglement ou la lucidité au risque du malheur ? Si l’on trouve son bonheur dans l’illusion et dans l’erreur il est sans importance d’être considéré comme imbécile heureux. Un texte de la sagesse biblique, L’Ecclésiaste, affirme que «plus on a de science, plus on a de tourments». Mais sans doute convient-il d’examiner la question autrement : l’imbécile heureux, en s’amputant de la partie raisonnable et rationnelle de son être, ne connaît pas un bonheur pleinement humain. Et sans doute faudra-t-il alors renoncer au bonheur illusoirement sans limites promis seulement à ceux qui oublient leur essence d’homme.

Conseil de lecture : Gorgias, Le Sophiste, Platon.

Le bonheur, quel intérêt ?, Jacques Ricot, Jean-Marie Frey, Roland Depierre et Joël Gaubert, Editions M-Editer

Éclairage n° 2 : « Penser la mort pour vivre bien », pour tordre le cou à quelques idées reçues, Jean-Luc Nativelle 

Présentation : Dans la représentation courante qu’on s’en fait, Épicure est le penseur du « carpe diem », le jouisseur qui se saisit de tout plaisir passant à sa portée. En réalité rien n’est plus contraire à sa pensée. Loin de n’avoir que l’immédiat comme objet, Épicure élabore une vraie pensée de la vie sur le long terme, et intègre à sa démarche une pensée de la mort, en tant qu’elle est constitutive de sa conception du bonheur.

Conseil de lecture : Lettre à Ménécée, Epicure

Éclairage n° 3 : « Carpe diem », « Cueille le jour présent » ? À quel genre de vie nous invite vraiment Épicure ?

Présentation : Depuis que le poète Horace l’a proposée comme règle pour une vie heureuse, la devise « carpe diem » a fait florès et n’en finit pas d’être adoptée, reprise et actualisée.
Mais cette postérité philosophique, poétique et populaire s’accompagne souvent de quelques malentendus qui la transforment en invitation effrénée à la jouissance.
En réalité rien n’est plus contraire à sa pensée. Loin de n’avoir que l’immédiat comme objet, Epicure élabore une vraie pensée de la vie sur le long terme et intègre à sa démarche une pensée de la mort, en tant qu’elle est constitutive de sa conception du bonheur.
Dans ces conditions – et si l’on veut que le carpe diem continue à jouer son rôle de boussole dans la poursuite d’une belle vie – il paraît indispensable de soumettre cette idée à un examen critique, apte à en faire ressortir aussi bien la richesse que les limites.

 

Illustration ©Chaunu

Sujet n° 2 : Vouloir la paix, est-ce vouloir la justice ?

Éclairage n°1  : KANT, Qui veut la paix par intérêt échouera. Qui veut le droit pour le droit l’obtiendra., Antoine Grandjean

Présentation : L’établissement d’une paix perpétuelle est pour Kant à la fois un devoir immédiat et un fait impossible. Mais travailler à l’inaccessible demande que l’on puisse au moins espérer s’en approcher. C’est dans ce cadre que la guerre peut être jugée concourir à sa propre suppression. Dans quelle mesure la guerre, qui marque toujours une suspension du droit, peut-elle aussi bien soutenir l’espoir des hommes de bonne volonté ?

Conseil de lecture : Projet de paix perpételle, Kant

Éclairage n° 2 : John RAWLS – Qu’est-ce qu’un État juste ?, Olivier Dekens

Présentation : Depuis Platon, la question de la justice, dans la Cité puis, plus tard, dans l’Etat, a été au cœur de la réflexion philosophique. S’articulant au droit, à la morale, à la religion, à l’économie, à la culture, ce problème occupe tout ceux qui tentent de proposer un modèle d’organisation des rapports sociaux assurant à chacun non seulement le respect de ses droits fondamentaux, mais aussi la jouissance de biens, dont il faudrait assurer la bonne répartition.
Prenant la suite des grandes théories contractualistes (Hobbes, Locke, Rousseau), le philosophe américain John Rawls présente, dans sa Théorie de la justice (1971), une véritable remise à plat de cet antique débat, par une formalisation inédites des difficultés, et avec un réel souci d’application concrète. Voile d’ignorance, position originelle, principe d’équité, consensus par recoupement : autant de notions que Rawls introduit dans la philosophie contemporaine, et que nous discuterons, dans leurs fécondités et leurs limites.

Conseil de lecture :  Théorie de la justice, John Rawls

Éclairage n° 2 : KANT – La paix des États démocratiques n’est-elle que de confort ou de droit ?, Karine Prévot

Présentation :«La guerre n’est pas une relation d’homme à homme mais une relation d’État à État.» (Rousseau, Du Contrat Social, livre I, ch. 4). Le problème de la guerre et de la paix se pose en partie comme celui de la coexistence entre États. En tant qu’ils représentent les unités politiques dépositaires de la violence organisée, les États et avec eux les relations internationales apparais-sent comme des lieux privilégiés d’une pensée de la guerre et de la paix. En effet, la construction d’une paix intérieure n’empêche pas chaque État de se réserver le droit d’employer la violence. De fait, la pluralité des États ne rend-elle pas la guerre inévitable?

Conseil de lecture : Paix et guerre entre les nations, Raymond Aron, Paris, Calmann-Lévy, 1984

Sujet n° 3 : Explication de texte extrait de La Pensée sauvage, Claude Lévi-Strauss, 1962

« Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les “moyens du bord”, c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L’ensemble des moyens du bricoleur n’est donc pas définissable par un projet (ce qui supposerait d’ailleurs, comme chez l’ingénieur, l’existence d’autant d’ensembles instrumentaux que de genres de projets, au moins en théorie) ; il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que “ça peut toujours servir”. De tels éléments sont donc à demi particularisés : suffisamment pour que le bricoleur n’ait pas besoin de l’équipement et du savoir de tous les corps d’état ; mais pas assez pour que chaque élément soit astreint à un emploi précis et déterminé. Chaque élément représente un ensemble de relations, à la fois concrètes et virtuelles ; ce sont des opérateurs, mais utilisables en vue d’opérations quelconques au sein d’un type. » Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage (1962)

Éclairage n° 1 : Qu’est ce que Bricoler signifie ?, Arnaud Saint-Pol

Présentation : Bricoler renvoie à un type d’agir dont nous chercherons à caractériser la nature. Le sens en est toutefois immédiatement double, transitif et intransitif, positif et négatif. Nous nous demanderons alors si ce que peut nous apprendre l’analyse concrète de l’activité bricoleuse peut être d’un apport quelconque dès lors que l’on tente une transposition dans le domaine moral, social ou encore politique.

Conseil de lecture :  La Pensée sauvage, Claude Lévi-Strauss

Éclairage n° 2 : MARX – De quoi l’aliénation de l’homme au travail le mutile-t-elle ?, Yvon Quiniou

Présentation : La question de savoir si le travail est une aliénation ou non est une grande question anthropologique et politique. Car si l’homme en général a besoin du travail pour vivre et dominer la nature, il ne le fait qu’à travers des formes particulières de travail dont beaucoup, en régime capitaliste, sont aliénantes, comme Marx l’a établi. Elles empêchent le travailleur productif de s’épanouir dans son activité et, surtout, elles mutilent sa vie, faisant obstacle à l’actualisation de ses potentialités naturelles, le rendant autre que ce qu’il pourrait être dans d’autres conditions, étranger à lui-même. C’est donc sans doute hors du seul travail, dans l’activité créatrice, que l’homme peut accéder à la vraie liberté.

Conseil de lecture : Les chemins difficiles de l’émancipation, 1ère partie, Yvon Quiniou, Kimé.

Éclairage n° 3 : Qu’est-ce que le travail ?

Présentation : Alors même que tous les jours nous entendons parler du travail et de tous les sujets qui y sont liés – emploi, chômage, salaires, etc. – il semble que ce thème appartienne essentiellement aux politiques, aux économistes, aux médias. Bizarrement, lorsqu’on interroge le philosophe, la première question qu’il paraît judicieux de lui poser est : « Qu’est-ce que le travail ? ». Comme si, finalement, tous les autres parlaient de quelque chose qu’ils ignorent tout en passant pour des spécialistes. À moins que s’interroger sur la définition même du travail, ce soit prendre le temps d’un petit pas de côté pour se donner les outils conceptuels nécessaires à la pensée du travail aujourd’hui. Mais là commencent les difficultés : existe-t-il seulement une définition du travail ? Y a-t-il quelque chose de commun à tous les types de métiers ou d’emplois qui permettrait d’identifier l’objet « travail » ? En réalité, si l’on interroge le philosophe, il faut s’attendre à ce que, loin de donner facilement une réponse qui permette de régler tous les problèmes, on prenne le risque de se retrouver face à d’autres questions qui, du moins, sont peut-être la première urgence à affronter pour se donner matière à réflexion.

– Séries technologiques

Sujet n° 1 : L’art nous apprend-il quelque chose ?

Éclairage n° 1 : La beauté, Joël Gaubert

Présentation : Qu’y a-t-il de plus paradoxal et de plus profondément décevant que de ne plus pouvoir parler ouvertement aujourd’hui de la beauté sans être soupçonné de naïveté, tant elle a été elle-même frappée de mutisme voire d’interdiction par toutes les « déconstructions » de la métaphysique, toutes les « ruptures » des « avant-gardes artistiques », toutes les industries du divertissement de masse et toutes les formes de nihilisme qui en résultent ? La beauté ne continue-t-elle pas, pourtant, de faire l’objet d’une irréductible expérience qui, modestement mais résolument, féconde toujours l’existence humaine, dans sa dimension proprement esthétique, certes, mais aussi dans les domaines éthique (comme en amour et en amitié) et socio-politique (dans le partage du sensible nécessaire à tout sens commun) ?
C’est à redonner la parole et droit de cité à cette expérience de la beauté que nous espérons ici contribuer, en dialogue avec les Anciens et les Modernes, en nous instruisant à la fois des principes de la philosophie et des révélations de la littérature et des autres arts, comme de la vie la plus quotidienne.

Éclairage n° 2 :  Comment et pourquoi l’expérience esthétique ?, Jean-Marie Schaeffer

Présentation : Comme son titre l’indique, cette conférence traite d’un type d’expérience particulier qu’on dénomme en général « expérience esthétique ». Durant notre vie nous faisons toutes et tous d’innombrables expériences de ce type, et la plupart d’entre nous les recherchent activement. Elles nous sont procurées surtout par les œuvres d’art bien entendu, mais pas seulement. La conférence se propose d’abord de clarifier ce qui fait la particularité de la relation esthétique au monde comparée à d’autres façons d’exercer notre attention. En un deuxième moment j’essaierai de comprendre comment et pourquoi l’expérience esthétique, lorsqu’elle est réussie, est une source non seulement de satisfaction, mais de bien-être pour celle ou celui qui s’y adonne. Enfin je montrerai que ce bien-être que nous apporte l’expérience esthétique réussie a une portée existentielle profonde : il transforme la qualité de notre présence au monde, à nous-mêmes et à autrui.

Conseil de lecture : L’expérience esthétique, Jean-Marie Schaeffer , Gallimard, 2015

Éclairage n° 3 : L’amour du beau est-il le signe de l’unité du genre humain ?, Camille Dreyfus-Le Foyer 

Présentation : Présentation : Nous évoluons dans des systèmes hiérarchisés (école, travail, sociétés) et nous en accommodons, dans la mesure où il peut sembler que, sans ordre et sans autorité, l’homme régresserait vers la sauvagerie. L’alternative libertaire est alors présentée comme une menace. Cependant, le terme désigne également une forme d’organisation, celle d’un ordre sans chef et issu de la participation de tous. Ainsi, bien que l’anarchie liée au modèle libertaire, perçue comme désordre, soit redoutée, de nombreux concepts anarchistes et libertaires, au sens politique d’autogestion, se retrouvent aujourd’hui valorisés (collaboration, participation, transversalité, etc.). Que penser de ces emprunts ? Sont-ils à mêmes d’opérer des transformations salutaires du système ou bien s’agit-il simplement d’aménagements superficiels destinés à alléger un peu le poids des hiérarchies qui pèsent sur nous ?

Conseil de lecture : Kant, Critique de la faculté de juger § 7 ; Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L’amour de l’art. Les musées d’art européens et leur public, Minuit, 1966.

Éclairage n° 4 : L’art et le beau, 80 réflexions philosophiques pour approcher ou approfondir le sujet

Présentation :  Que serait une existence humaine sans l’expérience de la beauté ? Un corps, une chanson, l’éclat d’un poème, la majesté d’un édifice, la pureté d’une forme, autant de réalités, prosaïques ou sublimes, qui peuvent déclencher en nous un émerveillement, une émotion à la fois singulière et commune. On dit alors : « c’est beau », sans bien savoir de quoi il s’agit. Sans doute d’abord d’un plaisir, des sens et de l’esprit ; mais aussi de la reconnaissance d’une qualité, une harmonie souvent, dont nous sommes bien en peine de décider si elle est dans cet objet même, ou tient à l’effet qu’il provoque en nous ; d’un jugement enfin, qui généralise et communique notre sensation, jusqu’à en faire parfois l’expression d’un partage du sensible

Sujet n° 2 : Transformer la nature, est-ce gagner en liberté ?

Éclairage n° 1 :   Qu’est-ce que la nature ?, Catherine Larrère

Présentation : Depuis les années 1970, l’attention portée à la crise environnementale et aux questions écologiques a redonné à la nature une place qu’elle avait largement perdue dans l’interrogation philosophique. Cela a fait en même temps du concept de nature l’objet de multiples débats. De quelle nature s’agit-il, comment en parler, à l’aide de quelles catégories? Peut-on encore utiliser ce terme aujourd’hui, et si oui, comment ?

Conseil de lecture : Penser et agir avec la nature, une enquête philosophique, Catherine Larrère, La Découverte, 2015

Éclairage n° 2 : Climat transformé : entre valeurs épistémiques et nécessairement non épistémiques, Anouk Barberousse

Présentation : Lorsque les physiciens commencent à étudier le climat, il s’agit encore d’un objet indépendant de l’action humaine, appartenant à la nature. Aujourd’hui, pour étudier le climat, il est crucial de prendre en compte les effets des actions humaines. Comment les physiciens, dont les objets sont souvent indépendants des humains (sauf lorsqu’il s’agit d’artefacts), font-ils face à ce changement ? Leurs façons de faire doivent-elles être elles aussi transformées ? La nature, en tant qu’étudiée par les physiciens, doit-elle être appréhendée autrement quand on cherche à connaître le climat et quand on cherche à connaître l’univers ?

Éclairage n° 3 : La réconciliation avec la nature, Jean-Marie Frey

Présentation : Comment la civilisation industrielle nous sépare-t-elle de notre environnement naturel ? Quelle réconciliation de l’homme avec la nature devons-nous envisager ?

Texte illustratif : « Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et romantiques que celles du lac de Genève, parce que les rochers et les bois y bordent l’eau de plus près ; mais elles ne sont pas moins riantes. S’il y a moins de culture de champs et de vignes, moins de villes et de maisons, il y aussi plus de verdure naturelle, plus de prairies, d’asiles ombragés de bocages, des contrastes plus fréquents et des accidents plus rapprochés. Comme il n’y a pas sur ces heureux bords de grandes routes commodes pour les voitures, le pays est peu fréquenté par les voyageurs ; mais il est intéressant pour des contemplatifs solitaires qui aiment à s’enivrer à loisir des charmes de la nature, et à se recueillir dans un silence que ne trouble aucun autre bruit que le cri des aigles, le ramage entrecoupé de quelques oiseaux, et le roulement des torrents qui tombent de la montagne ! », J.-J. Rousseau, Les rêveries du promeneur solitaire, V

Éclairage n° 4 :  Lire et relire LE MYTHE DE PROMÉTHÉE et (re)penser « Notre rapport à la nature », David Lebreton

Présentation :Le mythe de Prométhée n’est pas qu’une histoire à dormir debout. C’est également une proposition très riche et complexe sur la nature humaine, le rôle qu’y jouent la technique et la politique et sur notre place dans la nature. Nous nous invitons donc à (re)découvrir les nuances de ce mythe.

Conseil de lecture :
– Platon : Protagoras
– Pierre HADOT : Le voile d’Isis
– Jean-Pierre VERNANT : L’univers, les dieux, les hommes

Sujet n° 3 : Explication d’un texte extrait de Théorie des sentiments moraux, Adam Smith, 1759

Expliquer le texte suivant :

« Il est un degré de négligence qui paraîtrait mériter une punition quoique cette négligence n’occasionne aucun dommage à personne. Si une personne jetait une grosse pierre dans une voie publique du haut d’un mur sans en avertir les passants, et sans regarder où elle pourrait tomber, elle mériterait certainement une punition. Une police vraiment exacte châtierait une action si absurde, même si elle n’avait fait aucun mal. La personne qui s’en rend coupable fait preuve d’un mépris insolent envers le bonheur et la sécurité des autres. Il y a une injustice réelle dans cette conduite. Cette personne expose inconsidérément son prochain à ce qu’aucun homme de bon sens ne voudrait risquer ; de toute évidence elle manque du sens de ce qui est dû à ses semblables, et qui est la base de la justice et de la société. Une négligence grossière est donc, selon la loi, presque l’équivalent d’un dessein malveillant. Quand des conséquences malheureuses découlent d’une telle insouciance, la personne qui en est coupable est souvent châtiée comme si ces conséquences avaient réellement été dans son intention ; sa conduite qui était seulement insouciante et indolente, et qui méritait punition, est considérée comme atroce et passible du châtiment le plus sévère. Si une personne en tue accidentellement une autre par l’action imprudente mentionnée ci-dessus, elle est, selon les lois de nombreux pays, et notamment selon la vieille loi d’Écosse, passible du châtiment suprême. Bien que ce soit sans nul doute excessivement sévère, ce n’est pas du tout contraire à nos sentiments naturels. Notre juste indignation contre la folie et l’inhumanité de cette conduite est exaspérée par notre sympathie avec l’infortuné qui en souffre. Rien, pourtant, ne choquerait plus notre sens naturel de l’équité que de mener un homme à l’échafaud simplement pour avoir jeté avec insouciance une pierre dans la rue, sans faire de mal à personne. »

Adam Smith, Théorie des sentiments moraux (1759)

1 « étayer » : appuyer, faire reposer

Rédaction de la copie

Le candidat a le choix entre deux manières de rédiger l’explication de texte. Il peut :
– soit répondre dans l’ordre, de manière précise et développée, aux questions posées (option n°1);
– soit suivre le développement de son choix (option n°2).
Il indique son option de rédaction (option n°1 ou option n°2) au début de sa copie.

Question de l’option n°1

A. Éléments d’analyse

1. À partir de l’exemple du début du texte, expliquez pourquoi une conduite négligente peut

être, aux yeux de la loi, « presque l’équivalent d’un dessein malveillant ».

2. En quoi la situation est-elle différente lorsque la négligence tue « accidentellement » ?

3. D’après le texte, quels facteurs influencent naturellement notre évaluation de la gravité

d’un acte ?

B. Éléments de synthèse

1. Quelle est la question à laquelle l’auteur tente de répondre ici ?

2. Dégagez les différents moments de l’argumentation.

3. En vous appuyant sur les éléments précédents, dégagez l’idée principale du texte.

C. Commentaire

1. Qu’est-ce qui fait l’injustice d’une action : l’intention ou les conséquences ?

2. Peut-on rendre la justice sans faire intervenir les sentiments ?

Éclairage n° 1 : L’intime conviction, norme démocratique de la preuve ?, Jean Danet

Présentation : Qu’est-ce que l’intime conviction dont la Révolution française a fait une boussole pour tous ceux qui jugent au pénal ? Le glissement de l’usage des mots « intime » et « intimité » affecte le sens de l’expression. Pour certains, la notion serait floue, laissant le juge à son ressenti. Ceux-là croient souvent que la notion d’intime conviction ne concernerait que les jurés. Et d’en tirer la conclusion que, décidément, la justice pénale est chose trop sérieuse pour être abandonnée à des ignorants dotés au surplus d’un si piètre outil.
Pour éviter le contresens, il faut tout reprendre. Quel était le critère en vigueur avant celui de l’intime conviction ? D’où nous vient celui-ci ? Quel lien avec les Lumières ? Pourquoi l’adjectif « intime » ? Quel rapport avec la common law, qui retient la conviction forgée « au-delà de tout doute raisonnable » ? L’intime n’est pas le temple de la subjectivité. Après un débat judiciaire mené selon les règles du procès équitable, vient le temps où chaque juge doit seul prendre ses responsabilités, dans le silence de sa conscience, par l’usage de sa raison et avec impartialité. L’intime conviction est une norme démocratique de la preuve.

Éclairage n° 2 : À propos d’Antigone et de ses émules contemporains, Jacques Ricot

Présentation : La vie humaine n’est possible que parce que nous acceptons et décidons que nous avons besoin de prohibitions. La face négative de l’interdit renvoie à sa justification positive : il proscrit pour permettre comme le montrent les quatre prohibitions classiquement répertoriées : la violence, le vol, le mensonge, l’inceste. Ainsi sont rendues possibles, la liberté, la sécurité, la confiance, l’ouverture à autrui. Interdire, cependant, n’est pas empêcher et c’est ce que veut montrer Antigone qui transgresse les lois de la cité. Mais il importe de ne pas confondre la transgression de la loi avec sa négation selon une fâcheuse tendance contemporaine.

À propos d'Antigone et de ses émules contemporains

par Jacques Ricot

Éclairage n° 2 : John RAWLS – Qu’est-ce qu’un État juste ?, Olivier Dekens

Présentation : Depuis Platon, la question de la justice, dans la Cité puis, plus tard, dans l’Etat, a été au cœur de la réflexion philosophique. S’articulant au droit, à la morale, à la religion, à l’économie, à la culture, ce problème occupe tout ceux qui tentent de proposer un modèle d’organisation des rapports sociaux assurant à chacun non seulement le respect de ses droits fondamentaux, mais aussi la jouissance de biens, dont il faudrait assurer la bonne répartition.
Prenant la suite des grandes théories contractualistes (Hobbes, Locke, Rousseau), le philosophe américain John Rawls présente, dans sa Théorie de la justice (1971), une véritable remise à plat de cet antique débat, par une formalisation inédites des difficultés, et avec un réel souci d’application concrète. Voile d’ignorance, position originelle, principe d’équité, consensus par recoupement : autant de notions que Rawls introduit dans la philosophie contemporaine, et que nous discuterons, dans leurs fécondités et leurs limites.

Conseil de lecture :  Théorie de la justice, John Rawls

Éclairage n° 3 : La morale ou l’éthique ?, Jacques Ricot 

Présentation :  La morale et l’éthique sont, étymologiquement et historiquement, rigoureusement synonymes, le premier mot étant la traduction latine du second qui est un terme grec, et qui aujourd’hui fait plus chic. Bien que des auteurs (par exemple, Paul Ricœur) proposent parfois des distinctions intéressantes on conseille aux débutants en philosophie de ne pas construire une opposition tranchée entre ces deux termes qui pourrait laisser croire que l’éthique recommande doucement alors que la morale ne ferait que commander sévèrement ! À la rigueur, on peut utiliser le terme d’éthique quand on voudra insister sur le but de l’agir humain en recherche d’une vie bonne et celui de morale quand on voudra privilégier les normes (avec les notions d’obligation et de devoir) qu’il faut suivre pour atteindre cette vie bonne. Il s’agit, tout a plus, d’une différence d’accent, et non d’une différence de nature.

Conseil de lecture :
– Monique Canto-Sperber, L’inquiétude morale et la vie humaine, PUF, 2001, p. 24-28.
– Paul Ricœur, « De la morale à l’éthique et aux éthiques » dans Le Juste 2, Seuil, 2001.

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Rédacteur :  © Stéphane Vendé

Licence : © Editions M-Editer