Tous les sujets de philosophie au baccalauréat 2021

 

Avertissement : Plutôt que de vous proposer des « corrigés » du bac tous plus ou moins satisfaisants, et suivant l’injonction fondatrice des Lumières énoncée par Kant « Aie le courage de te servir de ton propre entendement. » ; Philosophia, en partenariat avec les Editions M-Editer, vous proposent différents éclairages possibles des sujets du baccalauréat de philosophie de cette année, pour que vous vous fassiez votre propre opinion éclairée.

– Série générale

Sujet n° 1 : Discuter, est-ce renoncer à la violence ?

 

 

Éclairage n° 1 : Les pouvoirs de la parole, Jean-Luc Nativelle

Présentation : Ce qui justifie qu’on s’interroge, aujourd’hui particulièrement, sur les Pouvoirs de la parole, c’est peut-être que nous sommes submergés de paroles. Les outils modernes de communication nous permettent à tous, à tout moment, de nous exprimer sur tout et sur n’importe quoi, et pour dire tout ou n’importe quoi. S’il est plus important, à notre époque, d’avoir à dire quelque chose que d’avoir quelque chose à dire, il est sans aucun doute urgent de revenir au pouvoir qu’a la parole de créer le monde qui nous entoure, et de construire l’humain en nous. Par là, doit être questionné le sens même de la parole chez les êtres humains, qui ne consiste pas à leur permettre seulement d’échanger des mots, mais à les nourrir d’une vitalité propre à leur humanité.

Conseil de lecture : Claude Hagège, L’Homme de paroles, Gallimard coll. folio essais ; Georges Mounin, Clefs pour la linguistique, Seghers ; Boris Cyrulnik, La Naissance du sens, Hachette coll. Pluriel ; Georges Gusdorf, La Parole, PUF coll. Quadrige


Les pouvoirs de la parole, Jean-Luc Nativelle

Éclairage n° 2 : Le dialogue est le contraire de la violence, Jacques Ricot

Présentation : Le dialogue n’est pas une simple conversation et ne se réduit pas à un échange, mais, comme son étymologie l’indique, il renvoie au logos, c’est-à-dire à la parole, à la raison. Et c’est ce qui lui confère un statut proprement philosophique. C’est Platon qui a donné aux «dialogues» leur forme originelle en montrant que la patiente recherche de la vérité obligeait à un décentrement du sujet et exigeait la construction d’une argumentation rationnelle. Est-ce à dire que le dialogue exige la pluralité des individus ? Sans doute est-ce bénéfique, mais il ne faudrait pourtant pas oublier que la pensée est, selon le même Platon, un dialogue de l’âme avec elle-même.

Conseil de lecture : Gorgias, Le Sophiste, Platon.

Sujet n° 2 : L’inconscient échappe-t-il à toute forme de connaissance ?

 

 

Éclairage n°1  : L’hypothèse de l’inconscient est-elle nécessaire et légitime ?, Jacques Ricot

Présentation : Pourquoi l’homme résiste-t-il à cette hypothèse? Parce qu’il s’agit d’une blessure narcissique, venant après celles infligées par l’abandon du géocentrisme ptoléméen et la découverte de l’évolutionnisme darwinien. « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison » proclame Freud. L’inconscient, selon lui, n’est pas une chose directement démontrable, c’est une hypothèse qui donne de la cohérence et du sens à ce qui, apparemment, en est dépourvu. Nos actes manqués, nos lapsus, nos rêves reçoivent, avec l’hypothèse de l’inconscient, une clarification rationnelle.

Conseil de lecture : S. Freud, Métapsychologie, Gallimard, 1986, p. 66-67. ; J. M. Frey, « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison ». Freud, Pleins Feux, 2004. ; M. Haar, Introduction à la psychanalyse. Analyse critique, Hatier, 1993.

Éclairage n° 2 : L’inconscient est-il somatique ?, Jacques Ricot

Présentation : Sommes-nous déterminés par des mécanismes corporels ? Peut-on parler d’une autonomie du psychisme ? Ces questions ont reçu avec Freud une réponse : l’inconscient n’est pas chose physique, mécanisme naturel, mouvement corporel, produisant des suites de paroles ou de comportements. Par exemple, la fatigue corporelle peut être l’occasion d’un lapsus, elle ne saurait être la cause du message indirect qui s’exprime à travers lui. Allons plus loin : nous sommes habités par un inconscient qui fonctionne comme un texte dont il va falloir retrouver les passages manquants et c’est pourquoi l’inconscient est comme un langage.

Conseil de lecture : Alain, Éléments de philosophie, Gallimard, 1941, p. 155-156. ; S. Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse, Payot, 1999, Troisième leçon, p. 31-45. ; J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » dans Écrits, Seuil, 1966, p. 237-322. Texte difficile.

Sujet n° 3 : Sommes-nous responsables de l’avenir ?

 

 

Éclairage n° 1 : Qu’est-ce que le temps ?, Jacques Ricot

Présentation : « Qu’est-ce donc que le temps ? Quand personne ne me le demande, je le sais ; dès qu’il s’agit de l’expliquer, je ne le sais plus » gémit Saint Augustin. Mais celui-ci poursuit sa méditation pour percer l’énigme du temps et observe que les trois modalités du temps, passé, avenir et présent ne se laissent pas saisir aisément. Ainsi le passé est, par définition, disparu et, pareillement, l’avenir n’est pas encore, si bien qu’il sont dans le non-être. Et le présent ? Lui possède une consistance. Le présent est, il n’y a que du présent. Mieux, par le présent, nous pouvons comprendre les trois modalités du temps : le présent du passé, c’est la mémoire, le présent du futur, c’est l’attente, le présent du présent, c’est la vison directe.

Conseil de lecture : Saint Augustin, Confessions, Livre XI, chap. 14. ; J. Ricot, Leçon sur « La perception du changement » de Henri Bergson, PUF, 1998. ; N. Grimaldi, Ontologie du temps. L’attente et la rupture, PUF, 1993. Livre difficile.

Éclairage n° 2 : Le présent est-il réductible à l’instant ?, Jacques Ricot

Présentation : Le présent a pour caractéristique de s’enfuir : à peine ai-je commencé à l’expérimenter qu’il est enseveli dans le passé. Je peux essayer, par un effort de pensée de me concentrer sur l’instant actuel, mais si petit soit-il je cherche toujours à le diviser pour être bien sûr qu’il s’agit du présent. Néanmoins, je me heurte à une impasse : l’instant est toujours divisible à l’infini. On peut résoudre l’énigme du présent en ne se résignant pas à le confondre avec un instant par essence insaisissable, mais en l’expérimentant comme une continuité qui dure et que ma mémoire peut aussi embrasser.

Conseil de lecture : H. Bergson, « La perception du changement » dans La Pensée et le mouvant, p. 168-170. ; J. Ricot, Leçon sur « La perception du changement » de Henri Bergson, PUF, 1998. ; Aristote, Physique, IV, V, VI.

Éclairage n° 3 : Le passé est-il notre prison, Jacques Ricot

Présentation : Entre le malheur d’une victime et celui du responsable du malheur de cette victime, il existe un lien. Non que la victime et le bourreau soient assimilables, bien évidemment ! Mais tous deux peuvent se laisser emprisonner dans la prison du passé. La victime peut être l’esclave de sa rancune, le bourreau de son remords. Le fardeau du passé obstrue l’horizon du futur dans les deux cas. Il existe pourtant un moyen, mais pas toujours humainement possible, de sortir de cet enfermement : l’offensé peut convertir sa rancune en pardon et l’offenseur peut transformer son remords en repentir. Ainsi on peut quitter la prison du passé et s’ouvrir à la nouveauté d’un avenir.
Conseil de lecture : J. Ricot, Peut-on tout pardonner ?, ch. 5, Pleins Feux, 2001. ; V. Jankélévitch, L’Imprescriptible, Seuil, 1986. ; H. Arendt, La Condition de l’homme moderne, Presses Pocket, p. 301-310.

Sujet n° 4 : Extrait de De la division du travail social (1893), Émile Durkheim

Explication de texte :

« Chaque peuple a sa morale, qui est déterminée par les conditions dans lesquelles il vit. On ne peut donc lui en inculquer une autre, si élevée qu’elle soit, sans le désorganiser, et de tels troubles ne peuvent pas ne pas être douloureusement ressentis par les particuliers. Mais la morale de chaque société, prise en elle-même, ne comporte-t-elle pas un développement indéfini des vertus qu’elle recommande ? Nullement. Agir moralement, c’est faire son devoir, et tout devoir est défini. Il est limité par les autres devoirs : on ne peut se donner trop complètement à autrui sans s’abandonner soi-même ; on ne peut développer à l’excès sa personnalité sans tomber dans l’égoïsme. D’autre part, l’ensemble de nos devoirs est lui-même limité par les autres exigences de notre nature. S’il est nécessaire que certaines formes de la conduite soient soumises à cette réglementation impérative qui est caractéristique de la moralité, il en est d’autres, au contraire, qui y sont naturellement réfractaires et qui pourtant sont essentielles. La morale ne peut régenter outre mesure les fonctions industrielles, commerciales, etc., sans les paralyser, et cependant elles sont vitales ; ainsi, considérer la richesse comme immorale n’est pas une erreur moins funeste que de voir dans la richesse le bien par excellence. Il peut donc y avoir des excès de morale, dont la morale d’ailleurs est la première à souffrir ; car, comme elle a pour objet immédiat de régler notre vie temporelle, elle ne peut nous en détourner sans tarir elle-même la matière à laquelle elle s’applique. » Émile Durkheim, De la division du travail social (1893)

Éclairage n° 1 : Faut-il opposer morale et liberté ?, Camille Dreyfus-Le Foyer

Présentation : L’autonomie offre une figure rassurante d’une liberté réconciliée avec l’obéissance à la loi d’un être de raison capable de se gouverner lui-même, de rompre avec un individualisme débridé. Aussi est-elle aujourd’hui autant revendiquée, exigée que suspectée d’être le cheval de Troie d’un autoritarisme indifférent à notre vulnérabilité. N’est-elle pas alors victime d’une analyse trop rapide ?

Faut-il opposer morale et liberté ?, Camille Dreyfus-Le Foyer

Éclairage n° 2 : Le capitalisme est-il moral, immoral ou amoral ?, Yvon Quiniou

Présentation : André Comte-Sponville a écrit en 2004 un livre à succès (réédité en 2009) où il défend l’idée que le capitalisme n’a pas à être jugé moralement sur le plan économique, qu’il est donc ni moral ni immoral, mais « amoral ». Il le fait d’une manière subtile : s’inspirant de la théorie des trois ordres de Pascal (corps, esprit, charité), il en distingue quatre : technico-scientifique, juridico-politique, moral et enfin celui de l’amour. Il intègre l’économie dans le premier, sous la forme de mécanismes obéissant à des lois internes auxquelles ses agents sont soumis et qui, dès lors, sont soustraits à tout jugement de valeur moral, l’efficacité productive important seule. Cette approche (qui n’exclut pas qu’on puisse un peu réguler le système de l’extérieur) s’inscrit dans un mouvement général de repli de la morale dans la sphère des relations interindividuelles, coupant son lien à la politique et aux rapports sociaux. Et elle comporte une erreur grave : elle oublie que, comme l’a indiqué Marx, l’économie est faite de pratiques par lesquelles certains hommes se comportent d’une certaine manière à l’égard d’autres hommes, par exemple en les exploitant. Elle n’est donc pas soustraite au jugement moral, lequel est en droit de dire que le capitalisme est immoral. C’est ce que cette conférence entend démontrer.

 

Éclairage n° 3 : Morale ou éthique ?, Jacques Ricot

Présentation : La morale et l’éthique sont, étymologiquement et historiquement, rigoureusement synonymes, le premier mot étant la traduction latine du second qui est un terme grec, et qui aujourd’hui fait plus chic. Bien que des auteurs (par exemple, Paul Ricœur) proposent parfois des distinctions intéressantes on conseille aux débutants en philosophie de ne pas construire une opposition tranchée entre ces deux termes qui pourrait laisser croire que l’éthique recommande doucement alors que la morale ne ferait que commander sévèrement ! À la rigueur, on peut utiliser le terme d’éthique quand on voudra insister sur le but de l’agir humain en recherche d’une vie bonne et celui de morale quand on voudra privilégier les normes (avec les notions d’obligation et de devoir) qu’il faut suivre pour atteindre cette vie bonne. Il s’agit, tout a plus, d’une différence d’accent, et non d’une différence de nature.

Conseil de lecture : M. Canto-Sperber, L’inquiétude morale et la vie humaine, PUF, 2001, p. 24-28. ; P. Ricœur, « De la morale à l’éthique et aux éthiques » dans Le Juste 2, Seuil, 2001.

 

Éclairage n° 3 : Morale ou éthique ?, Jacques Ricot

Éclairage n° 4 : Que peut-on faire face à l’emprise techniciste généralisée ?, Caroline Baudouin

 

Présentation : Sommes-nous devenus esclaves de la technique ? Jacques Ellul, penseur contemporain éclectique répond à cette question en défendant l’idée que la technique n’est jamais neutre, mais ambivalente, c’est-à-dire à la fois et en même temps bonne et mauvaise. La libération de l’homme de cette emprise techniciste dépend alors de son rapport à la transcendance divine.

Éclairage n° 5 : Le travail ou la vie ?, Nadia Taïbi

Présentation : L’objet de cette analyse est de comprendre la signification de l’oppression saisie dans les méthodes de travail elles-mêmes. Il s’agit de révéler la portée de la séparation de la vie et du travail telle qu’elle s’impose dans les différents modes de production. Or, celle-ci se rapporte au modèle de Taylor et en fait un paradigme qui transcende, dans sa signification, le simple établissement du travail à la chaîne.

 

Le travail ou la vie ?, Nadia Taïbi

Éclairage n° 6 : 35 approches philosophique de la notion de travail

Présentation : L’apparition et l’installation, semble-t-il durable, d’un chômage de masse lié à la révolution informatique puis numérique optimisant la productivité, mais aussi les profits d’actionnaires oisifs, ont brutalement remis à l’ordre du jour la question de « la fin du travail », en en renversant la signification même. À l’espoir de l’avènement d’une société « post-moderne » des loisirs, censée permettre aux hommes de jouir sans entraves des bienfaits du progrès technique et social, s’est substitué le désespoir de la perte d’un emploi qui demeure encore aujourd’hui, pour le plus grand nombre, le seul moyen de gagner sa vie, voire de lui donner un sens (une fin, un but). Alors même que les nouvelles conditions techniques mais aussi sociales du travail engendrent de nouvelles souffrances qui le font à nouveau considérer comme une aliénation plutôt que l’émancipation promise par les idéologies progressistes modernes.

N’est-il pas urgent, alors, de s’interroger non seulement sur les formes actuelles d’un travail en pleine mutation technique et sociale mais aussi sur son essence et sa fin, c’est-à-dire sa finalité pour l’existence humaine? Ne peut-on envisager, à la fois, de lui redonner un sens émancipateur et de ne plus en faire dépendre complètement la vie des hommes, de ceux qui ont encore un emploi comme de ceux qui n’en ont plus ? Que penser (parmi bien d’autres mesures possibles) d’une allocation de ressource universelle sans condition d’emploi mais qui pourrait être la condition d’un travail choisi et non plus subi ?
Sauf à continuer de produire la déshumanisation du monde du travail (et bien au-delà) et donc à engendrer, à terme, la relégation puis la sécession des classes laborieuses (toujours plus nombreuses malgré leur invisibilisation médiatique), du fait de politiques économiques à court terme toujours plus dangereuses et donc potentiellement ruineuses pour la société, voire l’humanité, tout entières.
C’est à l’examen d’une de ces questions que ces 35 propositions vous invitent ici.

– Séries technologiques

Sujet n° 1 : Est-il toujours injuste de désobéir aux lois ?

 

Éclairage n° 1 : L’interdit ou à propos d’Antigone et de ses émules contemporains, Jacques Ricot

Présentation : La vie humaine n’est possible que parce que nous acceptons et décidons que nous avons besoin de prohibitions. La face négative de l’interdit renvoie à sa justification positive : il proscrit pour permettre comme le montrent les quatre prohibitions classiquement répertoriées : la violence, le vol, le mensonge, l’inceste. Ainsi sont rendues possibles, la liberté, la sécurité, la confiance, l’ouverture à autrui. Interdire, cependant, n’est pas empêcher et c’est ce que veut montrer Antigone qui transgresse les lois de la cité. Mais il importe de ne pas confondre la transgression de la loi avec sa négation selon une fâcheuse tendance contemporaine.

Aller plus loin …/…

L'interdit ou à propos d'Antigone et de ses émules contemporains

par Jacques RICOT | Apprendre à philosopher avec Jacques Ricot, Editions Frémeaux & M-Editer

Éclairage n° 2 : Henry David Thoreau – Pour vivre heureux, faut-il vivre caché ?, Angélique Thébert

Présentation : « J’aime en partie la nature parce qu’elle n’est pas l’homme, mais un refuge loin de lui ». Telle est l’une des « notes de terrain » qu’Henry David Thoreau consigne dans son Journal. En s’excentrant de Concord, dans sa cabane près du lac Walden, il semble adopter la stratégie du repli. On montrera au contraire que c’est en s’enfonçant dans la sauvagerie touffue des bois que Thoreau définit les conditions d’une véritable socialité, riche et sincère.

Henry David Thoreau Pour vivre heureux, faut-il vivre caché ?, Angélique Thébert

Éclairage n° 2 : L’avenir politique de nos sociétés peut-il être anarcho-libertaire ?, Raphaël EDELMAN

Présentation : Présentation : Nous évoluons dans des systèmes hiérarchisés (école, travail, sociétés) et nous en accommodons, dans la mesure où il peut sembler que, sans ordre et sans autorité, l’homme régresserait vers la sauvagerie. L’alternative libertaire est alors présentée comme une menace. Cependant, le terme désigne également une forme d’organisation, celle d’un ordre sans chef et issu de la participation de tous. Ainsi, bien que l’anarchie liée au modèle libertaire, perçue comme désordre, soit redoutée, de nombreux concepts anarchistes et libertaires, au sens politique d’autogestion, se retrouvent aujourd’hui valorisés (collaboration, participation, transversalité, etc.). Que penser de ces emprunts ? Sont-ils à mêmes d’opérer des transformations salutaires du système ou bien s’agit-il simplement d’aménagements superficiels destinés à alléger un peu le poids des hiérarchies qui pèsent sur nous ?

Éclairage n° 4 : Habiter en ZAD est une manière de réaliser notre « être au monde »., Angélique Thébert

Présentation : « J’aime en partie la nature parce qu’elle n’est pas l’homme, mais un refuge loin de lui ». Telle est l’une des « notes de terrain » qu’Henry David Thoreau consigne dans son Journal. En s’excentrant de Concord, dans sa cabane près du lac Walden, il semble adopter la stratégie du repli. On montrera au contraire que c’est en s’enfonçant dans la sauvagerie touffue des bois que Thoreau définit les conditions d’une véritable socialité, riche et sincère.

 

Sujet n° 2 : Savoir, est-ce ne rien croire ?

 

 

Éclairage n° 1 :  Faut-il douter de tout ?, Jacques Ricot

Présentation : Le meilleur remède au fanatisme est assurément le doute et un savant authentique sait « douter de lui-même et de ses interprétations » disait Claude Bernard. Le doute est aussi le procédé dont se sont servis des philosophes comme Descartes et Kant pour éprouver la résistance de leurs certitudes. Mais il serait déraisonnable de promouvoir l’incertitude en philosophie ultime. Ce serait remplacer le dogmatisme de la certitude arrogante par le scepticisme de l’indécision paralysante. Si le doute était le dernier mot de la pensée, il se contredirait, car lorsque l’on prend le parti de douter résolument, il faut douter du doute lui-même. (cf. CD 1, 1).

Conseil de lecture : Malebranche, Recherche de la vérité, I, XX. : C. Bernard, Introduction à la médecine expérimentale, I, II, § 6. Alain, « Les ânes rouges », Propos, 5 mai 1931.

Faut-il douter de tout ?, Jacques Ricot

Éclairage n° 2 : Comment accéder au savoir ?, Jacques Ricot

Présentation : Socrate avait coutume de dire qu’il ne savait qu’une chose, c’est qu’il ne savait rien. Qu’est-ce qu’un ignorant peut bien nous apprendre ? On se doute qu’il y a dans ce type de propos une part de provocation. Socrate est ironique, mais au sens grec : « eirôeumaï » signifie « je questionne ». Socrate est donc l’inventeur de l’art d’interroger, c’est-à-dire de débusquer nos ignorances derrière nos certitudes apparentes. Croire que l’on sait, est un obstacle à la connaissance. Il faut commencer par savoir que l’on croit savoir. C’est l’expérience du serviteur de Ménon qui croyait que le double de la surface d’un carré s’obtenait en multipliant par deux la longueur de son côté. Bien interrogé, il découvre son erreur et se sait ignorant : le voici mûr pour entrer dans le savoir.
La mère de Socrate était sage-femme, accoucheuse des corps. Son fils philosophe, prétendait accoucher les esprits, c’est-à-dire favoriser l’accès au savoir. Mais comment apprendre ? Le savoir est toujours un acte solitaire car il est appropriation personnelle. L’accoucheur des esprits ne se substitue pas à l’élève, pas plus que l’accoucheuse des corps n’apporte à la mère le bébé. L’accouchement, en grec, c’est la maïeutique. Ce mot a fini par désigner l’art d’interroger pour accéder positivement à un savoir à découvrir au fond de soi. Après la phase de déstabilisation de l’ironie socratique où l’on sait que l’on ne sait pas, vient la maïeutique où, par l’art du questionnement, l’on parvient à aider le sujet à découvrir le savoir enfoui au fond de lui-même. Ainsi, sous la conduite de Socrate, le serviteur de Ménon saura comprendre que pour doubler la surface d’un carré, il faudra construire une nouvelle figure dont le côté sera égal à la diagonale de la première.

Conseil de lecture : Platon, Ménon, 81 e- 85 b. ; J. Ricot, Leçon sur savoir et ignorer, PUF, 1999. M. Canto-Sperber (dir.), Les Paradoxes de la connaissance. Essais sur le Ménon de Platon. Odile Jacob, 1991.

 

Éclairage n° 3 :  La science abolit-elle la superstition ?, Jacques Ricot

Présentation : L’imagination délirante du superstitieux se substitue à la compréhension scientifique de l’homme rationnel. Si donc la superstition est un autre nom de l’ignorance, peut-on considérer qu’elle disparaît au fur et à mesure que la science progresse ? Non, et cela pour deux raisons. D’une part, il existe des « crédulités scientifiques » disait Anatole France. La science, en effet, est toujours approchée et ne prétend pas épuiser la réalité, elle se sait révisable et les demi-savants qui prétendent le contraire sont proprement des superstitieux ! Karl Jaspers affirmait : « En un temps de superstition scientifique, on se sert de la science pour dissimuler l’inexplicable ». D’autre part, le même individu peut vivre en même temps dans un monde scientifique très rationnel et dans l’univers si séduisant de l’astrologie ou des croyances naïves.

Conseil de lecture : A. France, La Vie littéraire, I, 122. ; G. Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934. K. Jaspers, Situation spirituelle de notre époque, DDB, 1950.

Éclairage n° 4 :  Faut-il avoir peur de l’imagination ?, Jacques Ricot

Présentation : Selon Pascal, l’imagination est maîtresse d’erreur et de fausseté ». Ennemie de la raison, elle présente une image déformée de la réalité et il lui arrive même d’être incapable de tenter même de la représenter. Personne ne peut « imaginer » un chiliogone (polygone de mille côtés). Mais en réalité, l’imagination n’est pas seulement la faculté de reproduire des images, elle est capable d’action créatrice. Il ne faut donc pas confondre imaginaire et imagination. « Grâce à l’imaginaire, disait Bachelard, l’imagination est essentiellement ouverte et créatrice. »

Conseil de lecture : B. Pascal, Pensées, Brunschvicg 82. : G. Bachelard, L’Air et les songes. Essai sur l’imagination en mouvement, José Corti, 1943. Collectif, Abécédaire. Images. M-Editer, 2009. J.J. Wunenburger, L’Imaginaire, PUF, Que sais-je ?, 2006.

 

Sujet n° 3 : La technique nous libère-t-elle de la nature ?

Éclairage n° 1 :  La science et la technique maîtrisent-elles la nature ?, Jacques Ricot

Présentation : Le tsunami qui a frappé cruellement l’Indonésie en 2004 a ouvert à nouveau une question : l’homme a-t-il sa part de responsabilité lors de la survenue de catastrophes naturelles ? Car les savants et les techniciens ont les moyens d’anticiper ce type de phénomène et donc on peut protéger les populations contre les désordres de la nature qui ne peut être assimilée à un simple abri hospitalier. Et le développement scientifico-technique peut aussi bien détruire la nature que nous protéger des ravages de celle-ci.
Mais si la nature est en notre pouvoir, cela signifie-t-il que nous soyons responsables des ravages naturels qui, dès lors, ne seraient plus naturels ? Le débat n’est pas récent. À l’occasion du tremblement de terre de Lisbonne en 1755, Voltaire s’était répandu en sarcasmes sur l’idée d’une nature bonne en elle-même. Rousseau lui avait répliqué que l’homme n’est pas responsable du tremblement de terre, mais c’est lui qui choisit de construire des villes en des lieux particulièrement vulnérables. Aujourd’hui nous donnons plutôt raison à Rousseau : il n’y aurait plus de catastrophes naturelles mais, plus exactement, des risques constitués par la rencontre d’un aléa naturel et d’une vulnérabilité. Autrement dit, l’aléa naturel ne deviendra une catastrophe naturelle qu’en vertu du contexte social et économique.

Conseil de lecture : Rousseau, Lettre à Voltaire du 18 août 1756. ;  H. Jonas, Le Principe Responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Flammarion, 1998. ; H. Kempf, « Il n’y a pas de catastrophes naturelles » Le Monde, 21 mars 1999.

Éclairage n° 2 :  Le mal moderne se caractérise par sa déconnexion d’avec l’intention mauvaise., Jean-Pierre Dupuy

Présentation : La Doomsday clock, l’horloge de l’Apocalypse a été mise en place en 1947 par un groupe de physiciens atomiques qui, choqués par le largage des bombes sur Hiroshima et Nagasaki, avaient lancé en 1945 une revue de réflexion, qui existe toujours, sur l’arme de destruction massive par excellence, le Bulletin of Atomic Scientists. En 1947, ils fixèrent la grande aiguille à 7 minutes avant minuit. C’était le début de l’ère nucléaire. Depuis lors, l’aiguille a été avancée et retardée 17 fois. C’est en 1953, lorsque l’Amérique et l’Union soviétique testèrent la bombe à hydrogène à neuf mois d’intervalle l’une de l’autre que l’aiguille se rapprocha le plus de minuit, à 2 minutes seulement. Après l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide, elle s’éloigna à 17 minutes, pour revenir à 7 minutes de minuit en 2002, au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001. Nous sommes aujourd’hui à 5 minutes de minuit, plus près donc qu’en 1947. Les arguments avancés méritent réflexion.

Conseil de lecture : J.P. Dupuy, Petite métaphysique des tsunamis, Seuil, 2005.

Éclairage n° 3 : Redéfinir notre rapport à la nature, au (le) moins, pour le mieux, Gabrielle Marion LEDRU

Présentation :  Pour être, agir, il faut d’abord se trouver quelque part : Y être. Cet énigmatique autant qu’omniprésent Y, condition sine qua non de tout existant, aurait pu nous orienter vers une réflexion sur les modalités d’être dans/auprès/avec la nature, celle-ci étant par définition un habitat : l’habitat naturel des êtres vivants qui la peuplent, mais qui cesse d’exister en tant que nature dès que l’homme Y habite. « Habiter la nature » est un oxymore. C’est donc du côté de la symbolique du Y que nous nous tournerons afin de construire notre réflexion. En effet, Pythagore fit usage de l’upsilon : Y, comme symbolisant les branches divergentes entre vice et vertu. De même, Lactance écrit à l’aube du IVe siècle dans ses Institutions divines que « le cours de la vie humaine est semblable à un Y : quand les jeunes gens sont arrivés à l’endroit où le chemin se divise en deux, ils échouent et doutent dans lequel ils doivent s’engager. » Nous serions alors aujourd’hui comme ces jeunes gens, face à une alternative qui ne date malheureusement pas d’hier : conserver nos habitudes et poursuivre l’idéal de croissance en faisant de la nature une réserve dans laquelle puiser indéfiniment, ou redéfinir notre rapport à la nature, dont la domination ne semble plus être une franche victoire puisque l’épuisement de ses ressources conduira inexorablement à notre perte. « Y » sera alors pour nous l’occasion de penser cette croisée des chemins et notre divorce, voire notre mépris de la nature, sans laquelle, pourtant, nous ne saurions être au monde.

Conseil de lecture : Michel Serres, Le contrat naturel, Champs Flammarion, 1992.

 

Sujet n° 4 : Explication d’un texte extrait de Le poète et l’activité de fantaisie, Freud (1907)

Expliquer le texte suivant :

« Si au moins nous pouvions découvrir chez nous ou chez nos semblables une activité apparentée d’une manière ou d’une autre à ce que fait le poète ! L’investigation de celle-ci nous permettrait d’espérer acquérir un premier éclaircissement sur l’activité créatrice du poète. Et effectivement, une telle perspective existe – les poètes eux- mêmes d’ailleurs aiment à réduire l’écart entre leur particularité et l’essence humaine en général ; ils nous assurent si fréquemment qu’en tout homme se cache un poète et que le dernier poète ne mourra qu’avec le dernier homme.
Ne devrions-nous pas chercher déjà chez l’enfant les premières traces d’une activité poétique ? L’occupation la plus chère et la plus intense de l’enfant est le jeu. Peut-être sommes-nous en droit de dire : tout enfant qui joue se comporte comme un poète en tant qu’il se crée son propre monde ou, pour parler plus exactement, transporte les choses de son monde dans un ordre nouveau à sa convenance. Ce serait un tort de croire qu’il ne prend pas ce monde au sérieux, au contraire, il prend son jeu très au sérieux, il s’y investit beaucoup affectivement. Le contraire du jeu n’est pas le sérieux, mais la réalité. En dépit de son investissement affectif, l’enfant distingue fort bien son monde de jeu de la réalité, et il étaye (1) volontiers les objets et les circonstances qu’il a imaginés sur des choses palpables et visibles du monde réel. Rien d’autre que cet étayage ne distingue encore l’« activité de jeu » de l’enfant de l’« activité imaginaire ».
Or le poète fait la même chose que l’enfant qui joue ; il crée un monde imaginaire qu’il prend très au sérieux, c’est-à-dire qu’il l’investit affectivement tout en le séparant strictement de la réalité. »

FREUD, Le poète et l’activité de fantaisie (1907)

1 « étayer » : appuyer, faire reposer

Rédaction de la copie

Le candidat a le choix entre deux manières de rédiger l’explication de texte. Il peut :
– soit répondre dans l’ordre, de manière précise et développée, aux questions posées (option n°1);
– soit suivre le développement de son choix (option n°2).
Il indique son option de rédaction (option n°1 ou option n°2) au début de sa copie.

Questions de l’option n°1

A. Éléments d’analyse
1. Expliquez l’expression « en tout homme se cache un poète ». Cela correspond-il à l’idée que nous nous faisons ordinairement de l’artiste ?

2. Quelles sont d’après le texte les caractéristiques du jeu de l’enfant ? En quoi ressemble-t-il à l’activité du poète ?

3. En quel sens peut-on dire qu’un poète, et plus généralement qu’un artiste, crée son propre monde ?

B. Éléments de synthèse
1. Quelle est la question à laquelle l’auteur tente ici de répondre ?

2. Dégagez les différents moments de l’argumentation.

3. En vous appuyant sur les éléments précédents, dégagez l’idée principale du texte

C. Commentaire
1. Pourquoi le contraire du jeu n’est-il pas le sérieux, mais la réalité ?

2. Quel sens donner, à partir de ce texte, à l’idée d’un travail artistique ?

Éclairage n° 1 : L’art nous detourne-t-il du réel ?, Jacques Ricot

Présentation : L’artiste ne se pose pas la même question que celle formulée par Platon recherchant le monde solide des idées et se méfiant des artistes peintres, pâles imitateurs d’un monde évanescent d’apparences et professionnels de la tromperie. Le peintre n’est pas celui qui imite le réel ni non plus celui qui nous en détourne, il est celui qui nous invite à voir, par le détour de l’art, ce que nous ne savons pas voir dans le réel. Bergson a bien résumé le but de l’art : « À quoi vise l’art, sinon à montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? ».
L’art dévoile le monde, il le révèle à lui-même. Il faut entendre le mot « révéler » au sens du révélateur photographique, (au temps où le numérique n’existait pas !) voire même au sens religieux d’une révélation. Un artiste est celui qui révèle un paysage ou un portrait à lui-même. C’est ainsi que Proust explique comment Swann a transfiguré le regard qu’il portait sur Odette de Crécy après l’avoir comparée à la figure de Zéphora de Boticelli.

Conseil de lecture : J. Ricot, Leçon sur « La perception du changement » de Henri Bergson, PUF, 1998, p. 63-39. ; M. Ribon, L’Art et la nature, Hatier, 1988.; M. Proust, Un amour de Swann, Le Livre de poche, 1960, p. 52-55.

Éclairage n° 2 : Si le poète travaille. Quelle est la fin de son travail ?, Franck Robert

Présentation : Le poète est un travailleur, mais de toutes parts sa création déborde, excède, dépasse les limites assignées à l’œuvre. La poésie, bateau ivre, n’a que faire du travail : la prose – prosaïque, élément, lieu, du travail – est ce qu’il lui faut briser ou ce qui doit devenir prose poétique. Tout autant, le travail n’a que faire de la poésie : le langage, au travail, dit l’ordre, la hiérarchie, est injonction. Et le premier interdit pèse sur le langage : le langage du travail est ordonné, ordonnances, règles, règlements. Ni le vers libre, ni même le quatrain n’y ont leur place. S’il est une fin du travail, l’un de ses commencements pourrait être la vie poétique.

Conseil de lecture : Arthur Rimbaud, Poésies, Une Saison en enfer, Illuminations, Œuvres Complètes, Le Livre de Poche, 2004.

Éclairage n° 3 : Renoncer à la poésie c’est renoncer à la vie même. Alors quel agir poétique ?, Jean-Claude Pinson

Présentation :  Inlassablement, à rebours de toutes les déconstructions modernes de sa longue tradition bucolique, la poésie continue d’évoquer la nature. Elle nous rappelle ainsi que nous en sommes partie intégrante. Au plus intime de la parole du poème, une note pastorale souvent continue son murmure. En son ostinato, elle témoigne du pacte pastoral immémorial qui lie poésie et nature et fait de la première une « éco-logie » au sens fort. Hantée toujours par le vieux rêve d’un Âge d’or, la poésie demeure en outre porteuse d’une indéconstructible promesse d’habitation poétique de la Terre. S’inquiétant de l’apocalypse qui menace, elle invite à imaginer des formes de vie alternatives en même temps qu’elle cherche à inventer ces chants pastoraux nouveaux dont nous avons aujourd’hui grand besoin.

Conseil de lecture : Jean-Claude Pinson, Pastoral, De la poésie comme écologie, Champ Vallon, 2019.

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Rédacteur :  © Stéphane Vendé

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